De la 16e à la 37e Paris

Une troupe scoute, « Les Gais Compagnons de Saint Blaise », fonctionnait depuis au moins 1922 à Saint Germain de Charonne dans le 20e arrondissement parisien. Il semble que cette unité était issue du Cercle d’études Saint-Louis de Gonzague de la paroisse. Elle deviendra la 16e Paris qui laissera place ensuite à la 37° Paris.

Lucien Goualle
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Ces « Gais Compagnons » ont sans doute été créés sous l’influence de Lucien Goualle, « Loup blanc du clair de lune » , fondateur à 14 ans et en pleine guerre, des « Diables blancs » (future 3e Paris) sur la paroisse de l’Immaculée-Conception, rue du Rendez-Vous dans le 12e arrondissement, c’est-à-dire proche du Petit Charonne.
En 1918, Goualle avait regroupé ses « Diables blancs » avec les « Intrépides du Rosaire » du 14e arrondissement (future 2e Paris) pour fonder les « Vaillants? compagnons de Saint Michel » . Lucien Goualle jouera un rôle très important outre pour la création, en 1920 de la Fédération Catholique des Scouts de France (qui deviendra, en 1932 l’Association des Scouts de France), pour le développement du scoutisme dans l’est parisien.

Léon Catusse notre grand ancien, a décrit les premières années des 16e et 37e dans l’histoire qu’il a rédigé [1]. Nous avons voulu préciser ce passage de la 16e à la 37e Paris en retournant aux sources avec le dépouillement des revues « Le Scout de France » [2] et « Le Chef » [3] , et l’examen de quelques archives du Centre National SGDF?.

Posons donc les jalons et retraçons l’affaire

En avril 1922 [4] , c’est à dire dès le second numéro de la revue « Le Chef », il est fait mention d’une troupe en gestation à « Ste-Cécile de Charonne ». Ce « Sainte-Cécile » questionne.
Il y avait bien un Cercle féminin à Charonne, pendant du Cercle masculin St-Louis de Gonzague, mais sous le patronage de Sainte Geneviève, la patronne de Paris, qui rappelons-le, aurait rencontré St Germain sur le site de Charonne en l’an 429.
Je pense qu’il pourrait s’agir de la chapelle Ste-Cécile qui se situait à peu près à l’emplacement de l’église St-Gabriel édifiée en 1938. On est aux lisières sud du petit Charonne, au long du Cours de Vincennes en face et à proximité immédiate de la paroisse de l’immaculée Conception... base de Lucien Goualle.

En août 1922 [5] la liste officielle des troupes parisiennes est publiée. Elle s’arrête à la 13e Paris. En septembre / octobre 1922 [6] est mentionné une 14e Paris et annoncé une 16e Paris, doublon de la 4e (donc à St-Jean-Baptiste de la Salle dans le 15e arrondissement). En décembre [7] , la 15e Paris est mentionnée en formation.

La première mention de la 16e effective apparaît six mois après, en avril mai 1923 [8] avec l’annonce de la nomination d’un ASM (assistant Scoutmestre) Ernest Beaupuy, ce qui suppose une déjà bonne implantation.

Toujours en mai 1923, mais cette fois dans la revue « Le Scout de France » [9] , Loup blanc (Lucien Goualle, par ailleurs Commissaire du district Paris-Est) écrit : « 16e Paris, Charonne bouge !… Monsieur l’abbé Durand, vicaire à Saint Germain de Charonne, les Chefs Murset (jaguar rieur) et Beaupuy, quatre patrouilles, bientôt des louveteaux? avec des cheftaines… Que demander de plus ? ».

La 16e Paris en 1923
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Voilà la 16e Paris à Charonne, peut-être est-elle même déjà affiliée. Mais la revue n’ayant pas publié l’information, il faudrait dépouiller les compte rendus des Comités directeurs de la Fédération pour en avoir la date.
La 16e a son local 70 rue des Haies, au sein de l’école des Sœurs de la Providence, c’est-à-dire dans cette partie du petit Charonne au sud du quartier, et relativement éloigné de la vieille église de la paroisse Saint Germain de Charonne rue de Bagnolet. Il restera d’ailleurs toujours à la 37e un recrutement important de scouts issus de cette partie du 20e, même lorsque les 84e, 200e et 127e, qui entourent la rue des Haies, seront en place.

En juillet 1923 [10] , sous la rubrique "Les bulletins de Troupe", Loup Blanc donne des renseignements plus complets : une revue, le nom de la troupe, des activités.
« Le "petit Charonnais" n’est pas un nouveau-né puisque son numéro de juin porte le n° 17 ; mais il est maintenant "Bulletin de la troupe Saint Blaise et des Cercles Saint-Louis de Gonzague et Sainte-Geneviève", et la troupe Saint-Blaise est la vaillante et prospère 16e Paris, qui vient de former une patrouille et une meute de louveteaux. A la Pentecôte, une partie de la troupe a eu les honneurs d’un camp exceptionnel à Reims - La Pompelle - Berry au Bac, et a reçu l’accueil le plus fraternel des scouts rémois et de leurs chefs. »
Et cette autre mention de Loup blanc en août [11] sous la rubrique « La vie des Scouts de France » : « Paris XVI [12], visite de la troupe de Reims à la Pentecôte. Accueil idéal, très chic camp, rémois et parisiens se quittent enchantés les uns des autres. »

En octobre 1923 [13] , Loup blanc écrit : « La XVIe Paris a fait un camp fixe à Veulette dans la Seine Inférieure, précédée pour quelques aînés de la Troupe d’un camp cycliste. L’abbé Durand et le Jaguar (André Murset) dirigeaient. »
Sous la rubrique « Les bulletins de Troupe », Le Petit Charonnais est mentionné bien reçu, mais sans plus de détail.

La liste officielle des troupes publiée début 1924 [14] indique : « 16e Paris (Charonne) Aumônier Abbé Durand, SM André Murset (40 rue du Télégraphe, fait en même temps ffSM de la 17e), ASM Ernest Beaupuy, meute … » Il n’y a pas d’indication de cheftaine.
Ce sera fait en mai – juin 1924 [15] : « Nominations : cheftaine 16eP Mlle Lelièvre »". On note aussi la reconnaissance de la 17e Paris.

En juillet – août [16] , on note d’autres nominations : « Comité directeur du 13 mai 1924 : nomination de Scoutmestre de district, 16e Paris, André Murset ; nomination de l’ASM Pomel »l.
À ce même Comité Directeur est annoncé l’affiliation de la 20° Paris et au suivant celle de la 21° Paris [17] , ces deux troupes de manécanterie étant établies à St-Jean-Baptiste de Belleville dans l’est Parisien.

Dans le même temps Lucien Goualle poursuivant ses rubriques dans "Le Scout de France" écrit en juillet [18] : « Jaguar rieur (André Murset), le dévoué animateur des tribus de Charonne et de Belleville (17e Paris) a été nommé Scoutmestre de District (en fait l’assistant du CD Goualle pour la banche éclaireur?) il ne cesse pas pour cela d’être le grand frère aimé et respecté de la XVIe Paris. »

Et en octobre [19] : « Premier camp de district Paris Est à Chamarande lors des congés de la Fête Nationale. Grand succès, discipline et esprit de fraternité parfaite 115 scouts en réunion. Concours inter-patrouilles passionnants ». Plus loin : "La 16e campe en Alsace".

En poursuivant le dépouillement des revues, nous notons que le Comité Directeur du 23 janvier 1925 [20] nomme un instructeur à la 16e Paris, M. Villin avec une référence : « Cotons LV rue des Pyrénées ». Les initiales de cette « Manufacture parisienne » laissent à penser qu’il pourrait s’agir de l’entreprise familiale de ce M. Villin. Mais dans le quartier on n’a plus mémoire de cette entreprise et les recherches sur l’histoire de la manufacture restent infructueuses .

Le Comité directeur du 14 mars [21] nomme aumônier à la 16e l’Abbé Petit et ASM André Bleu, 9 rue Lallier. Ce même mois de mars, un encart présente une photo de la 16e en visite à la troupe de Reims et une photo du CD Lucien Goualle.

Dans ce même numéro, est publié l’information suivante signée « Un scout honoraire de la 16° P. » :
« Cette troupe a pu réaliser grâce à son Aumônier et à son Scoutmestre deux activités qui méritent d’être signalées aux troupes de la grande famille.
Chaque dimanche lorsqu’il n’y a pas camping, la troupe se réunit à l’issue de la messe en un Cercle d’études auquel tous les scouts, petits et grands, participent et au cours duquel la très grande majorité parle et discute. Inutile de dire que ce cercle, extrêmement vivant et pratique, fait un bien immense aux garçons ; il est bon de signaler que cette troupe est née au sein d’un Cercle d’études.
La seconde activité consiste à réunir deux ou trois fois dans l’année dans un dîner familial tous les parents des scouts. Ce sont des repas plein d’entrain, d’une cordialité et d’un esprit scout absolument remarquables. Il s’y fait le bon et indispensable travail de liaison entre chefs et parents, et fréquemment des rapports sont lus par des garçons eux-même sur l’activité de la troupe. Le dernier repas de la 16e, qui a eu lieu au commencement de février dernier, réunissait presque la centaine de participants.
La 16e Paris vient d’être douloureusement éprouvée par… une décision de Son Éminence, qui change de paroisse son très dévoué et très scout Aumônier, M. l’abbé Durand », (donc remplacé par l’abbé Petit).

Le drame qui va secouer la 16e et la faire disparaître se noue.

On note ensuite en juin 1925 [22] : « nomination ASM 16e Robert Korns Probst (de Saint Prix) », en juillet [23] : « Communication de l’adresse militaire du Chef Pomel de la 16e P : secr. EM Secteur fortifié de Savoie, Chambéry », en septembre / octobre [24] : « Participation de la 16e Paris au Pèlerinage de Rome ».

Le dépouillement des revues nous apprend qu’au Comité directeur de février 1926 [25] Yvonne Lelièvre est nommée AS cheftaine de la 16e. À cette époque le Scoutmestre avait fonction de Chef de Groupe et les Chefs ou cheftaines de louveteaux étaient de ses assistants.
La cheftaine Lelièvre va jouer un rôle essentiel pour la survie du scoutisme à Charonne.

Au Comité directeur de juin 1926 [26] est annoncé l’affiliation de la 36e Paris et le numéro 37 est réservé pour une troupe en gestation (vraisemblablement nous le verrons plus loin, celle de la paroisse du Bon-Pasteur, alors confiée aux franciscains).

On trouve encore quelques références à la 16e Paris dans la revue des scouts. Ainsi en février 1926 [27] : mention du second prix de reportage sur Rome remporté par le scout Févrot de la 16e Paris, et en avril [28] : mention d’un don de 50 francs de la 16e à la fédération au titre de l’année 1925. Et puis c’est le silence.

Que se passe-t-il donc à Charonne ?

Les frères Catusse nous éclairent : La paroisse ne voulait plus du scoutisme après le départ de l’Abbé Durand. Leur témoignage intervient une dizaine d’années seulement après les faits, leur information est donc assez fiable.
En recoupant les dates, on peut supposer que la 16e de Charonne est dissoute vers mars 1926. Les scouts et les chefs rejoignent alors la toute proche troupe formée par les franciscains du Bon Pasteur, rue de Charonne, aux abords ouest du Boulevard de Charonne.

Le Père Yves Combeau op, dans son histoire du scoutisme à Paris indique que le numéro 16 est repris à Saint-Augustin après 1927 par la 12e B, doublon de la 12e Paris.

La troupe du Bon Pasteur est la 37° Paris. Elle est mentionnée sous ce numéro en octobre 1926 [29] avec nomination d’un aumônier, le RP Bernard Villette, OFM de Fontenay-sous-Bois.

Mais la même raison qui a provoqué la disparition de la 16e à Charonne, provoque le départ de la 37e du Bon Pasteur.
Léon Catusse indique que les franciscains étant remplacés au Bon-Pasteur par les Fils de la Charité, et ceux-ci ne voulant pas de scouts chez eux, la troupe hébergée quelque temps par l’Union Familiale, rue de Charonne, se retrouve vite sans local et sans chef.
Elle se maintient toutefois grâce à la cheftaine Lelièvre qui fait fonction de SM et au Père Villette qui accueille le dimanche les scouts et les louveteaux à Fontenay sous Bois auprès de leur troupe sœur, Sainte Claire la 2e Fontenay, Les réunions se faisant le plus souvent sur les bancs du boulevard de Charonne.

Mais heureusement le 15 avril 1927, Bernard Maurer qui a fait ses preuves à la 25e Paris, est nommé [30] ASM de la 37e. Et au Comité Directeur du 27 juin 1927 sont annoncés l’affiliation de la 37e et la nomination de Xavier Dessaigne. Il est curieux que la 37e ait été affiliée sans rattachement paroissial. Léon Catusse dit en effet qu’elle se trouvait encore rue de Charonne. Il y a là quelque chose qui reste à éclaircir.

En août, la rubrique la Vie des scouts de France [31] mentionne la 37e Paris à l’occasion d’une sortie de la 25e Paris en forêt de Sénart, avec les troupe de la Province dont les chefs sont des anciens issus d’elle (13e, 25e, 36e, 37e, 45e, Épinay et Maison-Alfort), et le Père Plazenet.

Un an d’errance pour enfin être recueillie en octobre 1927 à… Saint-Germain de Charonne ! En effet d’après Léon Catusse, en octobre ou novembre 1927, l’abbé Fabre depuis peu vicaire à Charonne reçoit du curé Montiton la charge de la 37e qui retrouvait aussi rue des Haies, le local de la 16e Paris.

La photo dite « de 1925 », mais qui est plus sûrement de 1926, est très intéressante puisqu’elle est prise au tout début de la 37e. C’est peut être encore la troupe au Bon-Pasteur, plutôt que celle qui n’a plus d’attache entre juin et octobre 1927.

La 37e Paris en 1925
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Les jeunes portent déjà un uniforme inspiré des boys-scouts de B.P. Le chef en vareuse à la gauche du Père franciscain pourrait être Xavier Dessaigne. André Safforès fut dit-on le premier CP des Alouettes. Est-ce le garçon que nous voyons à la droite des deux cheftaines ? Il porte trois étoiles d’ancienneté, Camille Lelièvre, deux étoiles : un signe qu’ils ont pu pratiquer le scoutisme à la 16e crée en 1922. On distingue deux CP, et un nombre de scouts qui peuvent effectivement former deux patrouilles. Quels étaient les noms de ces patrouilles ? Le temps passe, les témoins ont disparus, comme beaucoup d’archives… Ce qu’il en reste mérite d’être conservé, exploité. et nous permet quand même de mieux connaître les premières années du scoutisme à Paris.

Notes

[2du n° 1 de mars 1923, au n° 72 de 1927.

[3du n° 1 de mars 1922 à l’année 1928.

[4Revue « Le Chef », 1ère année, n°2, avril 1922.

[5Revue « Le Chef », 1ère année, n°6, août 1922.

[6Revue « Le Chef », 1ère année, n°7 à 9 septembre Octobre 1922.

[7Revue « Le Chef », 1ère année, n°10, décembre 1922.

[8Revue « Le Chef », avril mai 1923.

[9Revue « Le Scout de France » n°5, 15 mai 1923.

[10Revue « Le Scout de France » n°7, 15 juillet 1923, p 151.

[11Revue « Le Scout de France » n°8, 15 août 1923.

[12Les numéros des troupes sont alors écrits tantôt en chiffres romains, tantôt en chiffres arabes.

[13Revue « Le Scout de France » n°10, 15 octobre 1923, p 209.

[14Revue « Le Chef », nouvelle série, n°1, janvier février 1924.

[15Revue « Le Chef », nouvelle série, n°3, mai-juin 1924.

[16Revue « Le Chef », nouvelle série, n°4, juillet août 1924.

[17« Le Chef », nouvelle série, n°6 novembre décembre 1924.

[18« Le Scout de France » 2e année, n°7, 15 juillet 1924, p 164.

[19« Le Scout de France » n° 8, 15 octobre 1924.

[20« Le Chef », janvier 1925.

[21« Le Chef, » mars 1925

[22Revue « Le Chef » Comité directeur 3/06/1925

[23Revue « Le scout de France », juillet 1925, p. 119.

[24Revue « Le scout de France » septembre-octobre 1925.

[25Revue « Le Chef », février 1926.

[26Revue « Le Chef », juin 1926.

[27Revue « Le scout de France » 15/02/1926.

[28Revue « Le scout de France » 15/04/1926, p 15.

[29Revue « Le Chef » Comité Dr 4/10/1926.

[30Comité directeur du 15 avril 1927.

[31Revue « Le scout de France » 11 août 1927, p15

PS

Cet article était originellement publié sur Scout un jour, un site animé entre 2004 et 2014 par des passionnés de l’histoire des Scouts de France.

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