Journal d’un chef pionniers caravelles en 2007

Camp d’été pionniers Scouts et Guides de France - 2007

Jour 1

Un matin ensoleillé bien sûr. C’est ainsi que tout commença. Un matin couleur rouge où les sourires rayonnaient dans le hall de la gare. La joie de vivre, voilà ce qui me surprit le plus. Tous ensembles, prêt à partir attendant avec impatience sur le quai de l’aventure. Des jeunes d’âges différents, filles et garçons, aux histoires distinctes réunies, comme d’autres cent ans auparavant, pour relever un défi. Leurs silhouettes esquissent des adultes sur des corps d’enfants et les plus vieux comparent leurs poils de menton. Moi qui suis sorti de cet âge que depuis quelques années, je m’apprête à les accompagnés pour une vingtaine de jours, pour les aider à grandir. Parfois je me demande qui je suis pour avoir cette prétention. A côté de moi, une jeune femme me sourit sous un gros sac à dos, une guitare dans une main, des dossiers dans l’autre. Elle est rejoins par un ami, les cheveux en bataille, armé d’une infirmerie et de massues de jonglage. Foulards autour du cou. Des gamins responsables, voilà ce que nous sommes. J’attrape alors mon sac et mon costume d’ange et, éclatant de rire, je suis ces fous vers l’aventure qui se dessine.

Jour 2

Pour la première et la dernière fois de ces trois semaines, je me lève avec le soleil. Déjà à cette heure la tente baigne d’une douce chaleur, et c’est par un ciel sans nuage que je suis accueilli. Sur le flanc de cette montagne, la vue est splendide. La vallée florissante me sourit et l’Ardèche, écume et bouillon, serpente entre les pics rocheux. Ventadour surplombe ce décor, du haut de ces tours en ruine, huit siècles me contemplent et je me sens bien petit sous le regard de ce château. Les tentes s’agitent, bâillements et regards embués en sortent, la première nuit ne semble pas avoir été reposante, mais les sourires sont là.

La ficelle est déroulée, les perches soulevées, l’imagination de chacun est mise à profit pour des installations malines dans ce petit campement. Les plus vieux enseignent, les nouveaux révisent ou apprennent. Et le soir, chacun sait savourer son Flamby sur la grande table qui tous nous réunit.

Jour 3

Cet homme est une histoire et un conte à lui seul. Tout juste s’il n’a pas l’âge de tous les chefs réuni, il semble avoir été partout et avoir tout fait. Quarante ans qu’il dirige le chantier, des scouts il en a vu passer, et même des scouts fils et filles de scouts. Petit, une longue barbe et une queue de cheval pour équilibré, il crapahute dans l’enceinte du château de son pas chaloupé, donnant un ordre par-ci, un conseil par là. Parfois autoritaire, parfois avec humour.

Fourmillant d’activités, le chantier est le théâtre de nombreuses saynètes où les bénévoles dans des recoins inattendus nettoient des pierres où pose leur mortier. Les pionniers trépignent. L’impatience n’est que de courte durée, après une visite des lieux, ils nous assignent à notre première tache. La végétation abondante envahit tout, nous allons devoir y remédier. A l’assaut.

Jour 6

La chaleur pèse sur nos épaules et si, en ce mois de juillet, la France est en Automne, ce n’est pas le cas de l’Ardèche. Le travail accompli se mesure à vue d’œil et, bien que les jeunes soient impatients d’occuper leurs mains à des travaux plus fins, ils semblent fiers de leur participation à l’édifice. Demain nous promettons, commencera la maçonnerie.

Jour 9

Fatigue et frustration pointent leur nez. Ces deux grandes joueuses s’amusent de mes nerfs. Plus d’une semaine que je vis hors du temps et de l’espace et la réalité quotidienne fait parfois mal quand elle revient brusquement. Mon humeur en prend un coup. Les jeunes le ressentent. Mais pour eux je dois rester positif, si je baisse les bras, ils s’effondrent. Sur le chantier la motivation chute, les espoirs de maçonnerie s’amenuisent, sans cesse repousser.

Jour 11

Le soleil se couche sur notre dernière journée de chantier, et si nous n’avons pas pu faire tout ce que nous espérions, le château nous paraît tout de même plus beau que jamais. Tous les bénévoles sont venus partager avec nous cette dernière soirée. Je les sens curieux et à la fois réservés, ils laissent malgré eux transparaître leurs préjugés. Mais, dans la nuit noire éclairée par les étoiles et les lampions multicolores, la plus haute cour de Ventadour résonne bien vite des chants et des danses de la veillée.

Jour 14

Voila plusieurs heures qu’ils sont partis à l’aventure sur les monts ardéchois. Je profite du calme allongé à l’ombre en demi somnolence. L’explo est toujours un moment à la fois reposant et un peu angoissant. Même si tout est cadré, préparé des semaines à l’avance, j’ai un poids au fond de l’estomac. Bien sûr pour des raisons de responsabilités, mais pas uniquement, et j’ai du mal à le définir. Je me lève et je fais quelques pas vers l’intendance. Une gamelle d’eau chaude m’attend pour un café. Je souris en regardant l’eau légèrement frémissante. Tous les chefs, chacun à leur tour, viennent la réchauffer, à croire qu’elle restera bouillante pendant vingt-quatre heures. Deux sucres dans le liquide brûlant et je retourne cogiter. J’ai du mal à définir ce que je ressens pour ces jeunes. Je suis inquiet pour eux, quand je passe quinze jours sans les voir ils me manquent et quand ils grandissent je les regrette. C’est finalement très paternel comme affection. La tête sur une touffe d’herbe, confiant dans ces jeunes, le poids sur mon estomac disparaît et je finis par m’endormir pour une sieste réparatrice.

Jour 15

Je regarde avec consternation les bouteilles de bières déposés à la va-vite dans l’intendance. Je revois Valentin revenir d’une des équipes, les mains chargées. Quel naïf j’ai été !

Et depuis hier soir, toutes les émotions ont défilé, de la colère à l’indifférence. Ce matin finalement, la déception me laisse un goût amer dans la bouche et un pincement au cœur. La confiance se construit lentement, grain par grain, pour devenir un bel édifice. Mais le vent a tôt fait de balayer le sable, et ça fait mal. C’est plus ça qu’une histoire de bières qui me dérange. Ils sont toujours en explo, et nous cherchons comment réagir de la façon la plus pertinente. Dans la balance joue d’un côté la crédibilité et notre rôle, de l’autre l’affect. Qui aime bien châtie bien dit le proverbe, plus facile à dire qu’à faire. Mais finalement la sanction viens d’elle-même, nous n’avons plus confiance…

Jour 16

Nous avons discuté avec eux, finalement ils sont presque soulagés de notre décision et certains nous remercient. Ils l’acceptent et la page se tourne. Parmi les autres pionniers, les plus vieux ne comprennent pas tous. Ils ne feront pas leur 36 heures tous ensemble et des regards noirs nous mettent la pression. Mais le camp continue, heureusement, et la randonnée de la journée cicatrise rapidement les blessures.

Jour 19

Je n’ai pas eu l’occasion de poursuivre ce journal depuis quelques jours. Impossible de prendre du temps, le rythme s’accélère sur la fin du camp. Nous avons logés dans la pinède des Scouts d’Aubenas. La veillée casino, les Olympiades et surtout l’excursion spéléologie ont redynamisé l’ambiance. En ce moment, les troisièmes et deuxièmes années sont en 36 et 48 heures, sauf la fameuse équipe et une certaine morosité prévisible règne.

Jour 21

« Un scout ne laisse derrière lui que des remerciements » disait Baden Powell, aussi en cette dernière journée nous nous attelons à respecter cette maxime. Tous regrettent la fin du camp, mais caressent l’espoir d’une baignoire mousseuse. La veillée finale sera festive. Ce camp est le dernier pour plusieurs chefs ainsi chaque instant est savourer. Imagination et talents orchestrent la soirée et sous le regard de la lune nous partageons un moment rare de bonheur pur.

Jour 22

Le train berce le petit monde et le plonge dans une torpeur engourdissante. Je relis les notes prises sur mon vieux cahier de ces jours passés ensemble et j’en souris. Le style diffère d’un jour à l’autre, les fautes d’orthographes pointent leur nez un peu partout, et des phrases longues et alambiqués imposent ma griffe. Je décide de ne plus y toucher, je lui laisse une certaine authenticité, même s’Il manque pleins de choses. Des éclats de rire et des coups de gueules, des jeux et des services, des diabolos et des pokers, la liste est très longue.

Je ne pense pas qu’ils s’en soient rendu compte, mais ils ont tous bien grandis durant ces quelques jours. En taille pour certains bien sûr, c’est fou ce que ça pousse ces choses là, mais surtout en responsabilité et en confiance en soi. Je ne sais pas si l’âge permet une introspection plus aisée, mais je me sens également différent. J’ai compris à quel point l’éducation est difficile, et je pense à mes parents. Moi aussi je continue de grandir, j’espère ne jamais m’arrêter, sinon je vais vraiment m’ennuyer.

Le train s’arrête, ils vont me manquer.

Bilou, un chef sûrement trop dans l’affect.

Portfolio

Publié le (mis à jour le )