Edito des Guides de France

Feux de France N°229 de Mai 1968

Marie-Thérèse Chéroutre est la commissaire générale des Guides de France depuis 1953, jusqu’en 1979. Les Guides de France ont opéré leur séparation de tranches d’âges 2 ans plus tôt en 1966.

Son édito a été écrit au plus près des événements, alors qu’une bonne partie de la revue devait déjà être écrite ou bien avancée sur l’aménagement du territoire.

Cet article fait partie d’une série d’articles présentant le regard de chaque association scoute sur Mai 68, regard véhiculé par leurs revues. Retrouver les différents regards.

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L’actualité nous frappe, ce mois-ci, des coups sanglants de la violence. Aucun continent n’en est épargné. Les images superposent, au rythme des émissions quotidiennes, les signes massifs et collectifs de la révolte, de la revendication, de la douleur, des flambées passionnelles d’un peuple, d’un groupe social ou d’une race. Le monde, bouleversé, apprend que le pasteur Martin Luther King, est mortellement frappé sur sa route de la paix.

Nous ouvrons les premières pages de la revue sur les « JEUNES GENS EN COLERE », ceux qui expriment « LEUR REVOLTE ET LEUR DESARROI » avec les mots de l’Est et de l’Ouest mais dans le même langage de la manifestation collective qu’aucune structure établie ne peut recueillir, qu’aucun ordre social en place ne peut endiguer si ce n’est par l’autorité et les barrages. L’ordre social lui-même est mis en question. La contestation ne trouve pas, pour s’exprimer, la voie classique des partis, des syndicats, des rouages lentement mis en place par les sociétés. Le phénomène explosif du monde étudiant, semble pour une part, significatif de l’impossibilité de la jeunesse de participer à la vie de la cité, d’y rencontrer le dur et salutaire apprentissage de l’action et de la responsabilité. « LORSQUE LA REVOLTE S’ENGOUFFRE DANS L’ACTION », un pas décisif n’est-il pas franchi pour la formation du citoyen ?

Or, nous sommes placés aujourd’hui dans une tension qui n’a pas encore trouvé son point d’équilibre.

D’une part, quels que soient les pays, la distance sépare le pouvoir de la population et accentue la difficulté pour tout homme de participer à l’élaboration d’une politique qui, en raison même de sa complexité et de ses dimensions internationales est entre les mains de quelques hommes.

D’autre part, nous n’avons jamais été — pour qui le veut —autant informés des questions du monde. Alertés sans cesse sur les grands enjeux, les tractations, les états d’âme, les voyages même secrets des grands émissaires, les résultats des commissions des sages, les décisions des états-majors, les dévaluations de la bourse, nous sommes consommateurs de connaissances mais impuissants et peut-être tentés d’ouvrir l’ombrelle de la vie au jour le jour, où le bifteck est assez élevé et le salaire pas assez.

Nous avons alors choisi dans l’actualité moins brûlante une seconde série d’événements. Ils sont importants car il s’agit de l’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE, c’est-à-dire de nos conditions d’existence. On parle beaucoup de rénovation, de « SCHEMA DIRECTEUR », d’aménagement des espaces verts, « DES PARCS NATURELS REGIONAUX ET NATIONAUX ».
Quelles possibilités les usagers actuels ou futurs ont-ils de donner leur point de vue ? Comment une part de la population — jeunes ou adultes — peut-elle s’informer et prendre part aux décisions qui engagent une conception de vie familiale, sociale et culturelle ?
Ici aussi les canaux habituels de dialogue sont dépassés. De nouvelles instances de consultation sont mises en place, Elles doivent aller jusqu’aux responsabilités de décisions. Ce n’est pas toujours facile mais c’est possible si la présence s’accompagne de jugement, de lucidité sur les enjeux, de compétence.
Il faut bien que notre monde soit habitable et que ses dimensions nouvelles d’universalité, de technicité, de spécialisations n’entrainent pas la démission de chacun mais l’appellent à une plus large participation, à l’édification d’une communauté au service de l’homme.
Peut-on discerner sans rêver, à travers les explosions de notre époque, les signes douloureux, défigurés parfois mais parfois aussi prophétiques de l’espérance en l’homme assoiffé de justice et de liberté ?
Elles ne peuvent être que le fruit d’une conquête et d’une nouvelle grandeur et ne peuvent laisser le guidisme indifférent.
Vous trouverez ici encore des témoignages sur les activités et les perspectives qui jalonnent la vie concrète du Mouvement.

Il n’est pas question de prouesses spectaculaires mais d’éducation, de prises de conscience et de réponses concrètes.

Trois lignes directrices s’en dégagent :

  • La vie scoute comme lieu de découverte et de saisie de situations marquantes de notre époque. Ici doit s’exprimer le jugement, la capacité de saisir les enjeux en référence à l’avenir et à ce qui le conditionne. A chaque âge, avec son langage propre, cette découverte doit être faite : lisez « UNE NOUVELLE TERRE POUR 60 MILLIONS DE FRANÇAIS » et « AU CŒUR DE PARIS, AU CŒUR DE L’HOMME »
  • La vie scoute comme éveil à l’initiative personnelle. Toute action même communautaire passe par la personne et la personne se construit par la confrontation, l’exercice de la liberté, la possibilité de contestation. Nos cadres habituels peuvent être bousculés, l’harmonie apparente du groupe mise en question mais c’est le prix d’une plus grande unité engendrée par le respect de chacun, la découverte de l’intérêt général, l’adhésion à des valeurs personnellement assumées.
  • La vie scoute est action. Dès l’âge jeannette? elle appelle à des tâches utiles, elle établit un lien indissociable entre le jugement, la réponse qui transforme la réalité et concourt à son amélioration et le sens donné à l’action.

Lisez « L’OPERATION 20 CARATS », c’est un effort à poursuivre dans tout le Mouvement, Cela nous demande de multiplier nos réseaux de relations, de mettre en place des structures de dialogue, d’élargir l’éventail des techniques et des moyens d’action. Alors que notre société présente un grand vide quant aux propositions concrètes d’action offertes aux jeunes, les Mouvements doivent ici jouer plus que jamais un rôle de corps intermédiaire : les ouvrir sur les grands appels du monde, leur donner les moyens de les saisir, d’y imprimer leur marque, d’entreprendre à leur niveau des tâches utiles et de découvrir le sens de leur engagement.
Toute action est signe d’un dépassement. « Mais il n’est point d’espoir pour qui la vie n’a pas de sens ». A quoi bon une liberté sans objet, un espoir sans espérance ?
Puissions-nous contribuer « AU RETOUR DU PRINTEMPS »

MARIE-THERESE CHEROUTRE

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